Vous vous en êtes sûrement rendus compte si vous me suivez sur mon compte instagram dédié au graffiti (@atasteofgraffiti), j’ai fait un passage éclair à Djerba et plus précisément dans le village d’ Erriadh, pour admirer les nombreuses fresques murales présentes là-bas.
C’est en juin 2014 que le projet DJERBAHOOD a vu le jour, impulsé par la galerie Itinerrance, avec à sa tête le galeriste franco-tunisien Mehdi Ben Cheikh, qui est à l’origine de bon nombre d’évènements majeurs, principalement à Paris, comme la Tour Paris 13, Boulevard Paris 13, ou Earth Crisis en 2016.
Localement, il a fallu convaincre les habitants, qui étaient plutôt réticents … mais le buzz a bien fait son oeuvre, et maintenant ce village est connu du monde entier. C’est maintenant plus d’une centaine d’artistes de plus de trente nationalités différentes qui sont venus ici, connus ou moins connus.
Je vous propose de vous montrer tout d’abord les oeuvres les plus anciennes, plus ou moins abîmées, bien sûr d’autres ont complètement disparu, car la maison a été rasée, le plus souvent, ou repeinte. Qui sait, mon article vous permettra peut-être de mettre un nom sur un dessin vu, ou aussi d’en découvrir d’autres, pendant votre séjour à Erriadh.
Vous remarquerez tout de suite, si vous venez à Djerba, que la Motobécane est un mode de locomotion fort apprécié de la population. Mario Belém l’a représentée ici en version bleue, d’ailleurs toute la famille qui la chevauche est aussi bleue, mais ce ne sont pas des schtroumpfs … il se trouve dans une rue où il y a plusieurs petits garages qui les réparent.
Très ancien aussi, ce portrait qui a bien perdu ses couleurs, par Orticanoodles (Italie) (à droite) – tandis qu’à gauche, il ne reste que très peu de traces du très beau dessin de Hiroyasu Tsuri aka TwoOne hélas.
Le chat de C215 est toujours là, mais il a un peu souffert … j’ai trouvé sur deux boîtes aux lettres d’autres félins qui ont mieux résisté, et Words of Wasabi a même occupé une autre face avec ses mots croisés.
Peu de dessins de Jaceticot ont résisté, mais ça n’a rendu la chasse aux gouzous que plus intéressante !
Pour voir certains de ces dessins, je vous conseille de vous éloigner du centre d’Erriadh, parfois un peu lisse et touristique, et vous trouverez de vieux « vestiges » sur des lieux pas très propres, de vrais décharges à vrai dire. Quelques artistes se sont en effet « lâchés » un peu plus, en dehors du village et de toute contrainte ; les conservateurs religieux ne voient pas toujours l’exposition d’un bon oeil et restent vigilants à tout nouveau dessin. Le maire avait même demandé d’effacer les premiers murs, indique Mehdi Ben Cheikh.
Sur le même terrain vague où j’ai trouvé un ou deux gouzous, je découvre de très vieux tracés de Pantónio, facilement reconnaissables, mêlés à des visages féminins du brésilien d’origine japonaise Walter Nomura aka Tinho (qu’on retrouve aussi avec des oeuvres plus récentes dans le centre du village).
Ci-dessous, c’est le mexicain Edgar Flores aka Saner qui a peint cette allégorie représentant une longue fresque composée de pêcheurs qui essaient d’attraper des poissons … ce travail est assez particulier car simple dans la technique (pas de couleurs). Habituellement ses dessins qu’il exécute dans le monde entier et en grand format sont plutôt très colorés, avec des personnages portant souvent des masques ! En tous cas cette fresque est plutôt bien conservée.
David de la Mano et Tinho dans l’enceinte des abattoirs … une collaboration très poétique entre les deux artistes !
Dans les toilettes de ces mêmes abattoirs, David de la Mano et Tinho ont peint quelques éléments. J’étais surprise de constater que déjà en 2014 ce local était plein de déchets ! Je me demande quand ces abattoirs ont cessé leur activité … Ces personnages de Tinho sont très différents de ceux qu’il peint maintenant, de gros bonhommes à la peau patchwork …
Une grande partie du disque noir et blanc de David de la Mano a disparu …
Le dessin de gauche ci-dessous de Tinho a également beaucoup souffert, on distingue peu la barque et la pile de livres sur laquelle se tient le garçon. A la base du bâtiment (qui sont des toilettes), une grande frise colorée de livres a quasiment disparu.
Voici ce qu’on distingue de la collaboration entre Seth et l’illustratrice argentine Pum Pum (qui a peint les oiseaux aux longues jambes) … la tête du garçonnet et la cage d’où les oiseaux se sont envolés ont hélas presque disparu … J’ai vu sur internet les photos du dessin d’origine et c’est un peu triste de les voir comme cela maintenant …
Je ne connaisais pas du tout Sean Hart auteur des phrases sur fond bleu « regarder l’invisible » « optimiser l’utopie » « écouter le silence » … qui m’ont assez intriguée ! L’artiste aux phrases choc mais qui fait aussi des vidéos vit et travaille à Paris après des études à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg.
Vous verrez plusieurs murs couverts de dessins notés parfois d’humour noir ou critique réalisés par le polonais Mariusz Waras aka M-City, souvent destinés à nous faire réfléchir sur notre comportement sur la planète … J’ai appris qu’il avait fait ses études à l’Académie des Beaux-Arts de Gdańsk et qu’il gérait une galerie d’art non loin, à Gdynia. Il est l’auteur de plusieurs centaines de fresques sous ce patronyme, où la ville apparaît souvent comme un être vivant, grandissant comme une colonie de bactéries ou un récif coralien. Mais ce qu’on peut voir ici est assez différent, vous le constaterez.
Je n’ai trouvé qu’un Roa, à ma grande déception … ce poulpe que vous avez sans doute déjà vu en photo maintes fois, sur un local technique près de la mairie. Il faut bien se placer pour faire coïncider la coupole sur le toit avec la « tête » du mollusque céphalopode. Heureusement les tas de briques et de sable ne masquaient pas totalement celui-ci … mais ça aurait été mieux sans ! Déception aussi pour les dessins de Phlegm, qui soit ont disparu, soit étaient trop difficiles à trouver.
ReaOne était aussi présent à Djerbahood, avec des oeuvres qui ont plus ou moins souffert du temps qui passe … l’artiste est à l’origine du projet Indafriche, dont vous avez peut-être lu la substance dans Graffiti Art Magazine ou Télérama … certains d’entre vous m’ont demandé des infos à ce sujet mais hélas je n’ai pas eu de réponse à mes messages pour voir le lieu donc pas de publication à vous montrer pour le moment. C’est une démarche pourtant très intéressante et qui mérite d’être relayée : il s’agit d’une résidence artistique sauvage (deux bâtiments), donc sans autorisation, sans financement, sans subvention, sans agence … où 120 artistes ont pu s’exprimer, peignant plus de 300 oeuvres … qui ne seront sûrement vues par personne (ou quelques happy few). Comme le dit Yelle dans sa chanson … « ce n’est pas le vent, c’est la brise … »
Il est bon de signaler que certaines « vieilles » peintures supportent le choc et sont toujours magnifiques, comme celle-ci de Mehdi Bouanani, aka DaBro, qu’un tapis de verdure a maintenant encadré …
Parmi les anciennes fresques, comment ne pas rester insensible aux femmes tunisiennes peintes par la regrettée Hyuro, et qui sont toujours là … plusieurs postures autour d’un grand châle qu’une femme ajuste sur elle. Atteinte de leucémie, l’artiste argentine Tamara Djurovic s’est éteinte en 2020. J’avais pu voir ses oeuvres à Manchester, Ostende, Nimègues ou Aberdeen, entre autres. Si vous passez à Belleville, vous pouvez voir une de ses esquisses transformée en fresque monumentale par Escif et Axel Void en son hommage.
Dans la même rue, seule l’une des portes peintes par Seth a survécu ; elle a peut-être été quelque peu repeinte, je ne sais pas.
DaBro a d’ailleurs réalisé avec Tinho en 2021 ce superbe mur, que j’aime beaucoup, où leurs deux styles se complètent parfaitement.
Si les premières oeuvres de 2014 ont, de façon évidente, souffert du temps et du climat, heureusement une nouvelle vague de fresques a été déposée en 2021 et 2022 , ce qui a, il est vrai, motivé ma visite. Après le succès d’il y a quelques années, le projet a pris un nouvel essor, entre autres grâce au programme européen Tounes Wijhetouna, et le soutien du Ministère du Tourisme et de l’Artisanat et du Ministère des Affaires Culturelles tunisien … ce qui était au départ une expérimentation artistique devient alors un projet pérenne et un vecteur de préservation du patrimoine millénaire de l’île.
Shepard Fairey aka ObeyGiant a ainsi rejoint le projet, avec trois de ses dessins imprimés sur des tuiles de grès cuites par Somocer Group (entreprise tunisienne spécialisée dans le carrelage de grès) à plus de 1000 degrés, un procédé qui assure une durabilité conséquente, sans doute la même technique que pour les oeuvres de Ardif croisées ici ou là dans le centre.
Parmi les artistes venus récemment, citons Ardif que vous connaissez sûrement … avec ses dessins d’animaux mi-naturels, mi-mécanismes … il avait peint une corneille mécanique au Locle pour l’Exomusée. On pourra les voir encore plusieurs années car ils sont imprimés sur des carreaux, comme les oeuvres de Shepard Fairey.
Le strasbourgeois Dan23 était déjà venu en 2014, et il a refait le voyage cette année … il signe un tableau façon affiche avec une citation de Nelson Mandela, et un beau trio d’oiseaux dont il a le secret, en hauteur, sur la rue principale, très passante. N’hésitez pas à faire un détour par Aurec-sur-Loire pour voir ses oeuvres !
Parmi les nouveautés qui m’ont ravie, cette façade recouverte des petits lapins de la pochoiriste Adey que vous avez peut-être déjà vus dans l’escalier qui mène du Lavomatik à la galerie à ciel ouvert Spot13. Une scène style « nature morte » où ces charmants animaux à grandes oreilles mettent un peu le bazar !
Un autre énorme coup de coeur, c’est pour le mur tellement réaliste de Manolo Mesa, un artiste diplômé de la faculté des Beaux-Arts de Séville, mais qui vit et travaille maintenant à Bilbao. On peut voir en conséquence pas mal de ses oeuvres en Espagne, mais aussi à Rouen ou Bordeaux ! Il a participé récemment à un festival à Rabat au Maroc, et ça me démange d’aller là-bas car de nombreuses fresques s’y trouvent maintenant.
L’artiste brestois Pakone était venu déposer un de ses arbres à Lyon rue des Tables Claudiennes (sur les pentes de la Croix-Rousse) … il y en a ici pas moins de trois. J’aime beaucoup, mais c’est toujours un peu la même chose, j’avoue me lasser de ces sakura … Il était intéressant néanmoins de voir une version en trois dimensions dans une des pièces du DeDalE à Vannes, en 2020.
Les couleurs vives et toniques de S4 The Project duo Yassin et Sadok ont réalisé en 2019 une grande fresque place Pinel dans le 13e arrondissement de Paris. Ils ont débuté en réalisant de simples tags et graffitis sur les murs de Tunis, puis se sont associés après une rencontre lors d’un évènement street art … et depuis ils ont bien progressé ! Voici l’un des trois murs peints à Erriadh, où l’on retrouve cette calligraphie arabe urbaine …
Parmi les nouveautés à Erriadh, signalons la venue du mexicain It’s a living, qui exposait d’ailleurs récemment à la Galerie Itinerrance dans le XIIIe arrondissement de Paris, réalisant par la même occasion une grande fresque sur un immeuble de 14 étages dans cet arrondissement, nommée « To live and love« . Le designer Ricardo Gonzalez, qui vit maintenant à Brooklyn, NY, signe des lettrages aux effets un peu néon, a travaillé pour des marques connues comme Google, Microsoft, Pepsi, et bien d’autres.
Mon séjour touche à sa fin, je dérange un jeune couple pour avoir une petite photo souvenir devant une maison transformée par l’artiste Yrak … c’est coloré ! Je ne connaisais pas ce peintre originaire de Mulhouse … et vous ? Vous trouverez ses interventions à différents endroits d’Erriadh.
A l’intérieur et à l’extérieur du riad où je séjournais, on peut voir d’autres oeuvres, dont le quetzalcoatl de Oré mêlé à de la calligraphie de TiefArt.
Il y a bien d’autres fresques et artistes à Erriadh, je ne vais pas toutes vous les montrer, sinon l’article sera bien trop long !!! C’est aussi un moyen de vous inciter à aller voir par vous même ce lieu fantastique. J’espère que d’autres artistes viendront encore et encore pour enrichir les murs de ce village de Djerba.
Une invasion en règle
Le nom d’ Invader ne vous est sans doute pas étranger … sous ce pseudonyme se cache un artiste connu mondialement et dont vous avez sans doute déjà vu les petites créatures sur carreau sur les murs, sous les ponts …
Il est donc venu à Djerba en novembre 2019 et coup de chapeau à lui, il a installé 58 mosaïques en 15 jours. (j’ignore si elles sont encore toutes là). Il avait un peu d’aide, mais quand même !
Si vous êtes fan ou tout simplement intéressés par les coulisses de cette invasion d’envergure de l’île de Djerba, je vous invite à regarder le film réalisé à cette occasion par Milan Poyet, » I INVADE DJERBA » qui se trouve sur la plateforme YouTube (durée 24 minutes).
A Erriadh j’ai pu identifier quelques unes de ses mosaïques (je n’ai toujours pas installé l’application, honte à moi, je n’aurai pas de points) … mais n’ayant pas de véhicule je suis loin de les avoir toutes vues. Si vous avez peu de temps, je vous suggère d’aller à Houmt Souk, où il en a déposé énormément. Mais attention, les invaders peuvent être vraiment situés au milieu de nulle part, pas forcément dans des villages ! En clin d’oeil à Tataouine, Franck Slama a aussi créé des mosaïques reprenant des personnages de Star Wars : un trooper, un dromadaire mécanique (ou TB-TT), … en effet l’épisode IX de la saga, « Star Wars : l’ascension de Skywalker« , était sortie à la fin de cette même année. L’île tunisienne avait déjà été le cadre, il y a 40 ans, du tournage de l’épisode IV « Star Wars : un nouvel espoir »
Les plaques ont été dessinées et fabriquées dans son atelier parisien, puis apportées sur place pour être fixées, parfois à quelques mètres de hauteur ! Les tailles sont très variables, du petit invader au grand personnage … voici un aperçu de celles à Erriadh …
Si vous en avez le courage, vous pourrez marcher comme moi (une quinzaine de minutes) au sud de la ville pour aller voir la Menorah (chandelier juif à neuf branches) posée (après autorisation) à l’entrée de la synagogue ; en effet, Erriadh est un lieu où les deux religions se côtoient depuis fort longtemps. Je n’ai pu m’approcher davantage car un garde armé protégeait les lieux, je ne sais pas si c’est toute la journée ainsi ? Heureusement j’avais un télé-objectif.
… et une de celles aperçues à Houmt Souk où j’ai pu passer quelques heures.
Ah, sinon, j’avais imprimé la carte présente sur le site Djerbahood com …. mais le seul hic c’est qu’elle date de … 2014 donc cela ne m’a guère été utile, surtout que le village d’Erriadh est un vrai dédale, sans noms de rues, il est quasi impossible de se repérer. J’avais fait une demande par email à Itinerrance pour savoir si un plan plus récent existait, mais aucune réponse 🙁 J’aurais bien aimé voir les mosaïques clin d’oeil à Star Wars, mais elles sont difficiles à voir sans avoir un véhicule.
Je vous encourage néanmoins à fouiner sur la boutique de cette galerie pour y dénicher les deux livres (49 € chacun) « Djerba » (sur l’opération de 2014) et « Djerba2 » (pour les fresques plus récentes) avec les magnifiques photos de Lionel Belluteau (allez voir son blog un oeil qui traîne si vous aimez l’art urbain, vous tenir au courant des expositions … et si vous aimez Invader aussi =!). Ah zut, la carte de l’invasion de Djerba est out of stock … mais en même temps, elle coûtait 1000 euros, donc clairement pas dans mon budget ! 😲
https://vimeo.com/775002852
Si cet article t’a plu, tu peux sauvegarder l’image ci-dessous dans ton Pinterest, et me suivre aussi sur instagram atasteofgraffiti, ça me fera plaisir !!
6 réponses sur « Djerbahood »
article un peu long mais c’est vrai qu’il y a tellement à voir là-bas ! merci pour le reportage et longue vie aux fresques
j’en ai beaucoup entendu parler, je ne savais pas qu’il y avait maintenant des oeuvres plus récentes … c’est super !
Article très complet j’ai une amie qui y est allée et en est revenue enchantée!
oh oui, ça ne m’étonne pas, c’est un lieu à part … et la douceur de vivre à Djerba est unique !
C’est très dépaysant et tu me donnes envie d’y aller ! Bises
merci à toi ! c’est un monde à part, à mi-chemin entre le village traditionnel et la galerie d’art à ciel ouvert !