Le vent souffle fort en ce dimanche matin à Bristol, mais je ne m’en plains pas car cette fois-ci il repousse la grisaille et nous avons droit à de belles éclaircies et les nuages qui défilent à toute allure dans le ciel. J’ai rejoint le point de rendez-vous qu’on m’avait donné, College Green, cette grande place le long de la cathédrale et du Council House. Nous sommes environ une vingtaine à être inscrit à ce street art walking tour proposé par l’association Where the wall, et aujourd’hui c’est Alex qui sera notre guide pendant presque 3 heures …
Nous commençons notre marche non loin de là sur Park street, par un des plus célèbres dessins de la ville, « naked man » ou « well-hung lover » de Banksy, qui illustre l’adultère. On y voit un homme accroché au rebord d’une fenêtre, tandis qu’un mari furieux et son épouse en petite tenue sont à l’intérieur d’un appartement (fait troublant, le dessin a été peint sur le mur d’une ancienne clinique soignant les troubles sexuels). Datant de 2006, cette illustration a fait polémique : la ville voulait en effet l’effacer, mais un sondage effectué auprès des habitants a révélé que les bristoliens souhaitaient le conserver, ce qui fut fait ! Néanmoins, comme vous le voyez, il fut dégradé en 2009 par des tirs de paintball bleu … Alex nous explique que l’artiste est sujet à controverse : non pas que les graffeurs soient contre Banksy, mais plutôt contre la monétisation de son art …. lorsqu’on voit le prix auquel sont vendus certaines de ses pièces en vente aux enchères, c’est sûr que cela donne le tournis … (parfois dépassant 1 million d’euros). Joli parcours pour un ancien élève du français Blek le rat.
Juste à côté, « The deal« , avec ces deux enfants très complices réalisés au pochoir, par JPS. Son style fait penser à celui de Banksy, souvent moqueur ou cynique, et faisant passer un message par le dessin. C’est d’ailleurs lui qui a inspiré JPS, qui après de nombreuses années d’addictions et de galères, a fini par reprendre goût à la vie à travers son art, après avoir vu une expo Banksy à Bristol. Pour faire ce dessin, JPS a utilisé 3 pochoirs.
On retrouve JPS sur Culver street, avec un dessin au pochoir très détaillé représentant l’acteur Andy Whitfield (hélas décédé très jeune d’un cancer) dans le rôle qu’il a tenu pour une série télé : Spartacus.
Il faut de nombreuses heures pour découper un pochoir, avec des cutters, dans un carton très fin. L’artiste va commencer par appliquer les tons clairs, puis terminer par les foncés. Dans cet exemple, Alex estime à une trentaine d’heures passés rien que pour la découpe, et à 15 minutes pour la peinture. Alex nous explique que le street art c’est encore mieux quand il a un lien avec l’histoire de la ville où il s’affiche. Ainsi, Spartacus était le libérateur des esclaves …. esclaves qui arrivaient en masse à bord de vaisseaux négriers dans le port de Bristol au début des années 1800. Le commerce des esclaves d’Afrique a représenté jusqu’à 60% de l’économie de la ville.
Nous rejoignons le secteur de la vieille ville, pas loin de mon hôtel et du St Nicholas market pour nous faufiler dans une allée baptisée « Leonard lane ». C’est là que se trouve Centrespace, une galerie, lieu d’exposition d’artistes. C’est au cours d’une exposition en été de l’année 2015, initiée par Human Nature, que plusieurs fresques ont été réalisées sur les murs de ce petit passage très étroit. Certains très connus, d’autres moins, se sont exprimés sur l’avenir de la planète … sous le titre « our enchanted garden » (notre jardin enchanté). On retrouve aussi un dessin d’abeille de ATM pour la même association devant l’entrée du Science Museum de Bristol.
Jane Laury (Mutiny) a dessiné un portrait de Charles Darwin entouré de plusieurs espèces en voie de disparition
J’ai beaucoup aimé passé du temps à observer tous les dessins dans ce passage, mais l’intérêt réside également dans la diversité des supports. On retrouve la mosaïque sophistiquée de Karen Francesca (voir photo plus bas), les sculptures de reptiles sur des bouchons de déchets radioactifs de centrale nucléaire par Jonesy, qui m’ont particulièrement interpelée. « Nuclear waste : waste of money, waste of life ».
On trouve ici un autre type d’art, les « paste ups » : il s’agit de dessins fait sur un papier, qui est collé sur le mur. La différence avec une peinture ? la peine à laquelle il vous expose : une peinture sur un mur est une « criminal offense« , alors que le papier c’est une « civil offense » et vous vous en tirerez avec une amende, pas de risque de peine de prison.
Regardez attentivement le sol et vous verrez quelques oeuvres de Ben Wilson. Cet artiste sculpte de vieux chewing-gums par terre, les peint … cliquez sur son nom, vous verrez comment il travaille sur sa page Wikipedia. Ce mini street art est très particulier par son support … et en l’occurence celui-ci représente justement Leonard Lane et ce passage bleu en hauteur. Si vous passez à Londres, vous pouvez en voir sur Millenium Bridge.
Un peu plus loin, la dimension des fresques n’a rien à voir, elles occupent tout le côté d’une façade d’immeuble, comme ce portrait de mère avec son enfant d’ El Mac . Cet artiste est venu de Los Angeles pour faire cette fresque en 2011, pendant 3 jours durant. Sa technique est plutôt inédite : il congèle ses peintures en aérosol, puis les dépressurise, c’est pour cela que vous voyez cet effet qui est un peu sa signature. La difficulté de peindre avec des bombes aérosol est bien sûr le vent, qui peut détourner la peinture du mur !
A la limite de la vieille ville, ce beau tableau de Conor Harrington, un irlandais qui vit depuis longtemps au Royaume-Uni, où il est venu pour étudier les arts. On le retrouve par exemple Boulevard Vincent Auriol avec une de ses oeuvres qui s’intègre dans le parcours Street Art 13 à Paris. Son agent est Steve Lazarides, qui était avant celui de Banksy. Réalisée en 2012, cette fresque s’intitule « The duel of Bristol », elle mélange comme souvent dans ses peintures des styles classique et contemporain, avec des personnages habillés de costumes baroques, tout cela est très réaliste.
Non loin de là, au fond sur la photo de gauche ci-dessous, vous apercevez les personnages si reconnaissables de Stik, un ancien sans abri dont certaines de ses images se vendent maintenant 20 000 livres ! Vous les avez certainement vus à Shoreditch ou sur Brick lane.
Voici une autre grande fresque impressionnante, celle de Nick Walker, qui représente un homme en complet à fines rayures, versant de la peinture orange au sol. Cet artiste natif de Bristol reprend à maintes fois ce personnage élégant à chapeau melon dans ses oeuvres (le « gentleman vandal« ), dans des dessins à la fois humoristiques et provocateurs. Il mélange des techniques traditionnelles de peinture graffiti et du pochoir.
Je n’avais encore jamais vu de « reversed graffiti« . C’est simple : le mur est sale, pollué, et on dessine avec un pistolet haute pression pour faire un motif. C’est bluffant ! (et en plus ce n’est pas un délit : on ne peut pas vous accuser de nettoyer le mur !). A droite, un autre type d’art complètement différent : un patchwork de tissu qui habille un lampadaire (mais c’est le seul que j’ai vu).
Toujours sur Nelson street, sur la façade d’un grand parking, cette immense murale de Pixel Pancho …. sa spécialité : les créatures (humains ou animaux) qui sont mi-réelles mi-robots …
Nous voici arrivés sur une grande place – (le rond point James Barton), où se trouve un passage souterrain piéton. Il s’agit de Bearpit, où paraît-il il ne fallait pas trop traîner le soir il y a quelques années … Le lieu a changé en bien, il y a plein de fresques fréquemment renouvelées, et un bus à double étage vintage datant de 1979 (vert car nous sommes à Bristol) a été déposé sur le terre-plein central pour accueillir un café.
Ci-dessous à droite, l’ours symbole de « Bear pit« , revisité par l’artiste Jamie Gillman. A cet endroit en effet étaient exposés des ours (bear pit = fosse aux ours), mais c’était il y a très longtemps ! Ici il est tout à fait légal de peindre les murs, c’est même encouragé, c’est comme cela qu’on a pu changer cet endroit où la criminalité était courante.
Nous passons près de cet immeuble et Alex attire notre attention sur le Superman assis au bord de l’une des fenêtres …. Nous ne l’aurions pas vu à cette distance, et encore, j’ai recadré la photo ! C’est lui qui l’a installé, avec un de ses amis qui habite cet appartement 🙂
Nous arrivons dans le quartier de Stokes Croft au nord, qui est le plus prolifique en matière de street art. Si vous avez peu de temps pour voir du street art, commencez par là ! J’ai déjà croisé des fresques de Aspire, artiste anglais, adorant représenter des oiseaux. Voici une jolie mésange ! Découvrez sa galerie instagram ici : https://www.instagram.com/aspireartwork/
Plutôt humoristique et toujours dans le règne animal, cette peinture montrant une girafe urinant sur la tente d’une deuxième … réalisé par Sled One.
Cette église semble un peu perdue et abandonnée dans ce quartier où le street art est roi …
Surprise de retrouver l’abbé Pierre sur Backfield’s lane, devant un magasin Emmaus.
Stinkfish (quel drôle de nom, poisson qui pue) est colombien et a réalisé il y a déjà longtemps ce portrait de jeune femme. Il a réalisé d’autres fresques dans la ville.
Ces maisons aux couleurs contrastées et vives donnent la pêche et s’intègrent bien dans cet univers artistique et multiculturel où je serais volontiers restée plus longtemps …
J’étais très contente de retrouver sur Hillgrove street un artiste que j’aime beaucoup, Phlegm, ici avec des personnages sur des échasses (« characters on stilts« ) ; il a peint partout dans le monde ses bonshommes particuliers, j’ai pu les voir à Londres et Manchester uniquement. Il a collaboré avec MM13, qui a fait la vague en arrière-plan, très inspirée de la vague de Katsushika Hokusai.
Drôle de Mont Rushmore ci-dessous non ? Alex nous explique qu’au début du street art il était dur pour les artistes de se procurer des bombes spray de peinture bon marché, ce n’était pas développé comme maintenant … ils achetaient donc à des garagistes, souvent quand ils le pouvaient, de gros stock vendus lors d’une cessation d’activité.
A gauche, ce mur revêt l’inscription « Think local : boycott Tesco » ; en effet il y a quelques années en 2011, un magasin Tesco (supermarché) a voulu s’installer ici sur Cheltenham Road, provoquant la colère chez les habitants du quartier. Malgré de nombreuses protestations (parfois violentes), Ils ont eu hélas gain de cause et le magasin a finalement ouvert, mais la fresque est toujours là …. Il faut savoir qu’ici il n’y a que des commerces indépendants et cette intrusion dans la « Stokescroft People’s Republic » était impensable. Le personnage dessiné par Sepr tient un panneau qui dit ceci « 93% of local people say no to Tesco » ….
Autre dessin de notre guide Alex, « Kissing the NHS (National Health Service) Goodbye » (baiser entre Trump et Teresa May) ; c’est l’une des oeuvres faites par des artistes dans le cadre d’une protestation pour sauver le service de protection sociale anglaise.
On a finalement vu assez peu de Banksy pendant notre balade …. Wherethewall a des sorties guidées spécifiques pour montrer les dessins de cet artiste. Celui-ci est très connu, « The mild mild West » montre un ourson (en apparence gentil) lancer un cocktail molotov sur des policiers … toujours les révoltes de Bristol. (notez que comme pour le premier dessin en début d’article, celui-ci a reçu de la peinture bleue)
Notre grand tour se termine devant Hamilton house où se trouve le restaurant The Canteen dont je vous ai parlé dans mon article sur Où manger à Bristol ? … Ce « breakdancing Jesus » date de 2013, Cosmo Sarson en est l’auteur. Il fut inspiré par un groupe de jeunes polonais qui avait fait un spectacle de breakdancing devant le Pape Jean-Paul II au Vatican en 2004. Ce travail sur demande mesure 8,50 mètres de hauteur et a nécessité plus d’un kilo de peinture dorée pour recouvrir l’arrière-plan. Pour lui c’est le symbole de la tolérance, y compris dans le domaine de la religion.
Je vous recommande chaudement ces visites guidées à pied, merci à notre guide Alex pour toutes ces explications ! Mais je n’ai pas fini de parler street art à Bristol … car je suis allée aussi à Southville, un quartier où se déroule chaque année un très grand festival !
WHERE THE WALL
Site Web : http://www.wherethewall.com/
Prix : 9,20 £ pour un adulte, prix spéciaux pour les étudiants, groupes et familles
VISIT GREAT BRITAIN
Site Web : https://www.visitbritain.com/fr/fr
VISIT BRISTOL
Site Web : http://visitbristol.co.uk/
9 réponses sur « Bristol street art (I) »
Woaw, c’est « the place to be » si on aime le street art dis-donc ! tu as dû t’éclater à voir tout ça !
Impressionnant ce street art à Britsol, y en a partout et très varié !
Je suis sous le charmes, certaines oeuvres sont bluffantes!
c’est peut être très simpliste comme idée mais je me demande si les artistes n’ont pas envie de peindre les murs et les colorer d’autant plus qu’ils habitent dans un pays où le ciel est majoritairement gris …et toujours aussi impressionnée par la taille des oeuvres !
C’est pas plutôt Spiderman à la fenêtre ?
Sinon le street art WOW moi j’adore! Et cette série est très chouette !
ah ah lol oui tu as raison, je vais modifier, quelle nouille !
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