Voici une nouvelle escapade faite pendant le joli mois de mai, avec ma complice Virginie, qui est aussi fan de street art. Après avoir exploré ensemble Vitry sur Seine l’an dernier (hum oui je n’ai toujours pas publié mon article) ainsi que le Rehab II à Paris, nous avons pris la poudre d’escampette en direction d’une région méconnue …. l’Auvergne, et plus précisément le département de l’Allier, dans un tout petit village, Lurcy-Lévis. Nos antennes affutées avaient détecté une multitude d’informations positives à propos d’un lieu fort excitant et original, dont le nom balaie toute équivoque : STREET ART CITY.
Alors ni une, ni deux, en voiture Simone, nous sommes parties très tôt en voiture pour nous faire notre idée sur place. J’avais volontairement évité de trop regarder le site internet pour ne pas gâcher ma surprise, qui fut de taille quand j’ai découvert cet ancien centre de formation des P&T (postes & télécommunications, le nom de « La Poste » il y a quelques années, j’explique pour les plus jeunes qui pourraient lire ) un peu à l’écart du centre du village.
Gilles ainsi que Bijou, la mascotte, nous ont accueillies et le premier nous a donné de nombreuses informations sur l’histoire du site. D’ailleurs le petit Pinscher nain est la star puisque c’est la première oeuvre qu’on voit sur le mur d’une maison, presque à la hauteur du panneau « Street Art City », avant le portail de l’entrée. Ce portrait en noir et blanc nous montre un Bijou portant un sweatshirt à capuche, il est réalisé par Ted Nomad dont je vous parle plus loin dans l’article. Il a également un grand dessin sur l’extérieur de l’hôtel 128, représentant une jeune garçon, un marteau sur l’épaule.
Je crois que c’est la première fois que j’explore du street art en pleine campagne, plus habituée aux villes où il est très présent, comme Montréal, Miami ou Manchester.
Le portail passé, on se trouve face à un rond-point, et le bâtiment principal, décoré par Spone, un artiste originaire de Lyon dont le style est très influencé par ses nombreux voyages en Asie et en Amérique du Nord. C’est lui qui avait peint la maison au fond de la rue des Tables Claudiennes, peinture qui est restée pendant plusieurs années mais qui est hélas effacée maintenant.
Pendant que Gilles ajoute sur le plan les dernières fresques réalisées, Bijou nous surveille du coin de l’oeil avec son gilet « Security » 😆 On écoute notre hôte raconter son histoire, leur histoire qui est devenue intimement liée à cette « Villa Médicis des Arts ». Ayant acheté le château voisin, ils se retrouvent avec ce terrain où se trouve ce centre de formation désaffecté, et se demandent bien quoi en faire. Heureusement, fin janvier 2015, Sylvie eut l’inspiration, l’idée de faire de ce lieu unique un espace d’expression pour les artistes, pour ressusciter ces murs envahis par la broussaille. Le couple ne connaît pas du tout le milieu artistique, mais ça ne lui fait pas peur.
Tout s’enchaîne assez vite et le premier mur fut peint en mai 2015, et bien d’autres artistes des cinq continents suivront, d’ailleurs chaque jour des dizaines de candidatures affluent. Lorsqu’ils sont retenus, ils viennent à Lurcy-Lévis pendant une période de une à trois semaines, sont hébergés, nourris, blanchis, et on leur fournit tout le matériel nécessaire : bombes, grues, nacelles élévatrices, échafaudages, etc. Toutes les thématiques peuvent être représentées, sauf celles qui expriment de la violence. Chaque année, entre 80 et 90 artistes peuvent bénéficier de cette magnifique expérience (pour notre plus grand bonheur aussi !). Le site ouvre donc pour la première fois en 2016, et depuis le succès va grandissant. Gilles et Sylvie sont même parfois les « agents » de certains artistes, défendant leurs droits et négociant à leur place leurs prestations lors d’un festival ou d’une autre manifestation.
Le site est exceptionnel car il n’est pas voué à la destruction, comme c’est le cas parfois pour des évènements impliquant les street artistes.
Première fresque à côté du portail, à peine finie, par un artiste grec encore peu connu en France, SIMPLE G : « May Girl« , cette gardienne du temple dont les volutes font beaucoup penser à la publicité pour les Gitanes bleues.
Munies de notre plan, on commence alors l’exploration du site, en commençant par les fresques extérieures car le temps avait l’air beau et nous n’étions pas à l’abri d’une future averse en ce mois de mai un peu capricieux … Sur un container (il me semble) , une belle fresque contestataire de NOBODY : « Love is my ammunition » et des slogans auxquels on ne peut qu’adhérer ! « l’Art est mon arme, l’amour mes munitions et ma religion« .
Nous l’igniorions au moment de notre passage, mais l’artiste connu aussi sous le pseudo « TMNK » s’est suicidé en septembre 2016, seulement quelques mois après son passage ici. Ses messages axés sur la non-violence, ou une satire de notre société interpellent les visiteurs de Lurcy-Lévis, de Wynwood ou d’autres endroits du monde entier.
Poursuivant plus loin, on tombe sur un auto-portrait géant d’ ALANIZ (« bluebird ») ; il a peint d’autres fresques sur le site … il faut dire que sur 22 000 m² de murs, il y a le choix ! Cet argentin vivant à Berlin réalise des dessins assez engagés mettant en scène des révoltés, des sans abris, des migrants ; il s’inspire de ce qu’il voit dans la rue. Il a entre autres redonné vie l’an dernier à quelques murs très moches dans la ville d’Outreau en France (Pas-de-Calais). Sa particularité est de ne peindre qu’au petit rouleau « patte de lapin » , avec une perche de 3 mètres pour le manier. Euhhhh je pense qu’il doit avoir de bons biscotos, car quel exercice, c’est incroyable !
Une de nos fresques préférées, cette immense Alice au pays des merveilles, allongée, rêveuse (« Day dream »), de BK FOXX et ZESO (on reconnaît bien les deux styles différents des artistes). Il faut s’approcher pour voir tous les petits personnages et détails de ce qu’a peint Zeso ! Si vous avez quelques minutes, allez voir le site de BK Foxx, son travail est impressionnant.
Lors de notre passage, nous avons pu échanger quelques mots avec l’artiste Morne qui était là pour réaliser cette « vague » très colorée … une belle occasion de faire l’andouille sous l’objectif de Virginie.
La nature se plaît aussi à orner les murs … à sa façon …
Sur la petite gare présente sur le site, SIMPLE G a représenté ce voyageur (« The traveller« ), fumant une cigarette en attendant son train …
Sur le bâtiment du fond du site, surnommé « le bunker », on découvre la délicatesse dans cette nymphe et ce taureau, flottant dans les airs, peints par ATEK (lui aussi grec), et ce camaïeu de couleurs fabuleux.
Toujours dans le bunker, la très impressionnante oeuvre de ZESO « Deported » , (d’ailleurs si vous voulez voir le petit film très intéressant autour de sa réalisation, cliquez ici ➡️ https://www.youtube.com/watch?v=rHCqwNceC4Q )
Pour les amateurs, sachez qu’il crée chaque année une matrice destinée à imprimer un carré de soie ; eh oui, même s’il a vécu pendant 10 ans à New York, il est lyonnais, et Lyon c’est historiquement le berceau de la soie ! C’est la maison Brochier qui assure leur fabrication. Il est présent également dans l’hôtel 128 avec sa chambre « No sleep till Brooklyn« .
Toujours au même endroit sur la façade sud, CARO PEPE a laissé son empreinte. Ses personnages inquiétants ont toujours un oeil fermé : dans la vie il y a des réalités qu’on ne veut pas voir … la végétation se mêle aux cheveux des deux femmes, l’oeuvre s’intègre parfaitement au bâtiment. Cette artiste argentine vit à Berlin et expose également en galerie dans le monde entier. Nous verrons une chambre de l’hôtel 128, dans les tonalités rose vif. Je ne vous la montre pas, venez et vous aurez la surprise !
Si son nom d’artiste CREYone (maintenant CREY132) ne l’indique pas, il est bien français, et très talentueux, passionné depuis son enfance de bande dessinée et aussi par le mouvement hip-hop. Sa grande fresque (« Me, myself and … ») reprend sur 22 mètres sur 7 mètres les codes de l’art urbain avec ce portrait de graffeur en capuche portant un masque, entouré de graffiti – phrases choc « no pain no gain ». Très sollicité, il a notamment relooké la façade du centre de tri de Marseille récemment. Il avait participé au Rehab2 à Paris en 2017.
HÔTEL 128
Je vous présente l‘hôtel 128, 14 mètres de haut, 53 mètres de long et 4 étages. A la période d’activité du centre de formation, il hébergeait les « stagiaires » pendant quelques nuits, dans des chambres exiguës de 10 m² prévues pour une personne, avec une mini salle de bain avec douche. 128 chambres au total, dont 51 peuvent être visitées, un chiffre allant en progressant bien sûr, l’objectif étant de pouvoir visiter la totalité des pièces en 2019. Je pense qu’à ce moment-là il faudra que je prévoie une deuxième visite de ces chambres ressemblant davantage à des cellules de moine, la moisissure en plus !
Sa visite obéit à un protocole bien particulier : un film est projeté pour le public, des lampes frontales sont distribuées car il fait parfois sombre dans les couloirs. En bref, il faut éviter les sacs à dos et pénétrer seul dans les chambres car comme je vous l’ai dit elles sont petites et parfois la mise en scène à l’intérieur de celles-ci est fragile. Après avoir vu une chambre, il faut bien refermer la porte derrière-soi pour laisser le mystère entier pour la personne suivante. Ces petites « contraintes » sont très faciles à respecter et permettent de profiter pleinement de cette découverte exceptionnelle. Chaque artiste décline à sa façon son univers dans cette petite surface, on est transporté d’une ambiance à une autre, n’ayant que le couloir pour décompresser entre chaque émotion.
Sur ses différents côtés, les artistes s’y sont donné à coeur joie, comme COSTWO et ce terrifiant personnage hybride entre hyène et humain, l’une des préférées de Virginie apparemment ! Très connu, cet allemand a été inspiré par le conte « La Belle et la Bête » (uniquement à la bombe et en une semaine).
J’ai été très impressionnée par le travail de l’artiste française Krist X . A vrai dire je n’ai pas trouvé beaucoup d’informations sur elle, mais son avenir est prometteur, aucun doute là-dessus … ce portrait se trouve dans la chambre 87 – « Apocalypse Année 2147 »
Sans doute la chambre la plus émouvante, celle réalisée par ASIER – « La chambre des refusés ». Cet espagnol est très sensible au drame actuel des migrants et au-delà de ce qu’il a peint sur les murs, c’est toute une mise en scène qui serre le coeur dans cette pièce où l’humidité est telle que le matelas à terre est moisi, des gouttes tombent du plafond dans des cuvettes de fortune …
C’est suite à une rencontre entre le graffeur et un peintre syrien exilé en Allier que cette peinture a vu le jour, malgré la barrière de la langue ils ont pu se comprendre, et aboutir à ce qui en bouleversera plus d’un.
Voici une chambre sur la caricature sociale, qui rappelle un peu certains dessins de Banksy … « Hunting for likes » (à droite ci-dessous) ou « Dirty Girl » (à gauche) de TAVIN DAVIS , qui épingle les réseaux sociaux type Instagram, où chacun est à la chasse des petits coeurs … like me like me like me ! Les toiles du jeune américain qui vit dans l’état du Montana sont très provocatrices et cyniques …
La vache relookée de KELKIN nous avait accueillies à l’entrée du bâtiment principal. Son coup de crayon très graphique et noir & blanc se retrouve dans cette petite chambre 020 « Vive la Cité des Rêves« . Il n’a que 23 ans, et nous l’avons retrouvé sur la façade Nord de ce bâtiment, et dans la galerie d’exposition, et sur un grand autobus dont la carosserie extérieure est totalement recouverte à Moulins puis transféré à Street Art City.
ZURIK vient de Bogotá en Colombie et j’ai adoré son style de dessin très léché, avec des effets miroir (comme sur les lunettes ou la bouche de la femme en photo ci-dessous). Née en 1990, elle dessine souvent des portraits de femme, mais pas seulement. Elle participe à de nombreux festivals dans le monde entier, en Espagne, France, Belgique ou Danemark.
Depuis la fenêtre de l’une des chambres, on a un autre regard sur l’oeuvre du catalan DEBENS . Il a habillé ce bâtiment de formes géométriques et colorées, dont certaines, comme les sphères, semblent vraiment être en relief ! Il lui a fallu seulement 4 jours pour la réaliser, sur 10 mètres x 24 mètres (bombe et peinture à l’eau). Dans les années 2000 il a notamment fréquenté Chanoir, et s’adonne également à la peinture sur toile ou au collage.
LES EXPOS et le CAFÉ
Après un petit café pris au bar pour nous réveiller un peu (eh oui on s’était levées un peu tôt pour faire cette visite dans la journée), nous avons consacré quelques minutes aux expositions en cours, celle du mâconnais Ted Nomad et ses oeuvres très intenses. Il part de photographies pour faire ses portraits au pochoir, ça n’a pas l’air mais c’est énormément de travail de découpe, en phases successives !
« Un regard sur nos vies » car c’est vrai que c’est le regard qui est le fil conducteur de cette exposition …
KELKIN nous montre quelque chose d’assez différent des autres oeuvres qu’on peut voir à Lurcy-Lévis, avec sa collection « Miroirs de lames » ou le tarot divinatoire revisité, en autant de tableaux qu’il y a de cartes dans ce jeu. Ici, la Tour :
L’ATELIER – GALERIE D’ART
On a terminé cette longue visite par l’exploration de l’atelier puis de la galerie où vous pouvez vous porter acquéreur des oeuvres de quelques uns des artistes qui ont séjourné ici, à un coup somme toute assez modeste, mais les prix varient selon leur popularité bien entendu.
STREET ART CITY EN CHIFFRES (en temps réel !)
13 Bâtiments – 4600 litres de peinture – 22 000 m² de fresques – 38652 bombes
Un grand merci à Sylvie et Gilles Iniesta pour leur accueil et toutes les explications données avec passion ! Je ne vous ai présenté ici qu’une infime partie de tout ce que vous pouvez voir à Street Art City, vraiment il faut que vous veniez ici pour vous rendre compte l’ampleur du site et des fresques, c’est incroyable et unique en France (et peut-être même ailleurs).
Tarif : 20 euros pour espace extérieur, les expositions et l’Hôtel128 (10 euros pour les moins de 16 ans)
12 euros pour espace extérieur et les expositions uniquement.
STREET ART CITY
Ouvert de fin mars à début octobre
Béguin 5
03320 LURCY LÉVIS
Ouverture de 11 h à 19 h tous les jours (entre fin mars et début octobre)
Infos : contact@street-art-city.com
Site Web : https://www.street-art-city.com
13 réponses sur « Street Art City »
Ce lieu est tout simplement incroyable !!! vous avez dû vous régaler à explorer tout ça !
Je ne connaissais pas, ça a l’air super grand !
C’est complètement hallucinant comme endroit !
Par contre pour le côté « street art à la campagne », ça ne me surprend pas et je trouve que certaines petites villes sont très actives. Je pense à Altkirch en Alsace, avec son côté petite ville de campagne et possède des fresques incroyables.
tout à fait Tiphana ! mais là on est très à l’écart du bourg, c’est surprenant et très paumé ! Je note pour Altkirch, tu me donnes une nouvelle idée de promenade !
On a adoré notre visite en famille !
oui, ça vaut vraiment le déplacement ce site !
C’est superbe ! Dommage que ça soit un peu loin de Lyon, je n’aurais probablement pas le temps d’y aller
oui c’est un site magnifique ! bon nous on est un peu zinzins on l’a fait dans la journée, mais on peut coupler avec d’autres visites dans l’Allier, comme Moulins par exemple, pour un grand week-end … c’est ce que je ferai la prochaine fois, je compte bien y retourner, peut-être dans 2 ans, voir les nouvelles fresques !
Super article ! Je n’imaginais pas autant d’artistes, l’endroit porte donc bien son nom. Hâte que les beaux jours reviennent pour programmer une petite escapade là-bas…
Très belles photos, qui donnent envie d’aller visiter sur place.
Récemment, à Decazeville dans l’Aveyron (ma ville natale) s’est déroulé l’opération MurMurs Street Art à Decazeville.
« » Vivante et colorée, la scène street art decazevilloise n’a rien à envier aux métropoles européennes ! A la faveur du “MurMurs Festival”, 21 fresques gigantesques fleurissent aujourd’hui dans l’espace public de l’ancienne cité minière grâce à des talents de notoriété internationale.
Quoi de mieux pour connaître le nouveau visage de Decazeville que de le découvrir guidé par une médiatrice ? Pour vous, elles sont allées à la rencontre des artistes et sauront mieux que personne vous transmettre les clés de compréhension des oeuvres, ainsi que celles de cette discipline artistique multi-facettes née dans la rue et qui envahit aujourd’hui les galeries. Venez en prendre plein les yeux et ne rien manquer de ce gigantesque musée à ciel ouvert.
Inscription obligatoire auprès de l’Office de Tourisme et du Thermalisme jusqu’à la veille midi. Minimum 8 participants. 9€/personne.
Tel. 05 65 43 18 36 ou 05 65 63 06 80
RDV place Jean Jaurès – Cransac – 13h45 ou parking du Laminoir – Decazeville – 14h « »
En attendant, merci encore de m’avoir donné envie d’aller visiter Lurcy-Levis, surement avec mes petits enfants.
merci pour votre commentaire et toutes les informations, j’espère aller visiter cela très prochainement !
Très sympa street art city. Et surtout l’hôtel 128 qui se visite un peu en mode urbex
La salle de restauration et l’expo sont intéressantes aussi. Le street art sur toile c’est autre chose mais ça permet de mettre les artistes en avant.
oui j’ai beaucoup aimé l’hôtel 128 aussi, c’est trop bien de pénétrer dans l’univers des artistes …