Lors de mon voyage à Nijmegen aux Pays-Bas, j’ai découvert un concept qui m’était totalement étranger : les forêts nourricières. En compagnie de Wouter van Eck, ce projet un peu fou m’a été expliqué et c’était vraiment passionnant de l’écouter !
C’est à Groesbeek que nous nous sommes rendus (en mini-bus roulant au biocarburant), au sud-est de la ville. Nous y retrouvons Wouter van Eck ainsi qu’Emile, chef du restaurant De Nieuwe Winkel. Ils vont nous expliquer les bénéfices multiples des arbres et buissons en termes de production de nourriture, rétention d’eau, et biodiversité … et en plus, le sol absorbe une grande quantité de dioxyde de carbone !
En 2009, celui qui est considéré par ses voisins comme un doux rêveur voire un illuminé, achète avec Pieter Jansen un champ de maïs délaissé et commence ce qui est devenu la plus grande forêt nourricière naturelle en Europe.
Inspirés par les « jardins forestiers » naturels très répandus dans les tropiques, il a planté ici selon les mêmes principes une forêt naturelle composée d’arbustes, de plantes grimpantes, de petits et grands arbres, et d’herbes, en combinant nature et agriculture.
Cette polyculture pousse toute seule et ne requiert aucun entretien, et la centaine de variétés d’arbres s’est très bien développée. Une nouvelle faune et flore est même apparue, dépassant toutes ses espérances. Son projet botanique compte maintenant plus de 400 espèces comestibles. De façon surprenante, le rendement est bien meilleur que dans des champs exploités de façon conventionnelle avec force pesticides, qui les a forcément épuisés. ll suffit de regarder les champs sans fin de ray-grass, de betterave fourragère et de maïs fourrager : que du fourrage ou foin pour vaches laitières. Cela peut être différent.
Dans la partie nord du terrain, sont placés les buissons à fruits et arbustes pas très hauts, tandis que les arbres les plus grands sont quant à eux placés au sud. Ainsi, chaque rayon de soleil est absorbé par la végétation. On peut commencer à récolter après une à deux années, mais typiquement, une forêt nourricière atteint sa maturité au bout de dix ans …
Le chef Emile van der Staak vient de temps en temps dans la forêt, choisit quelques racines, noix, baies, fleurs, etc … et travaille ensuite en cuisine pour faire de quelque chose de comestible …. un élément de ses plats qui sera bon dans l’assiette. Ce n’est pas chose aisée et il faut beaucoup d’essais pour y arriver ! Ici pousse par exemple sans problème le poivre de Sichuan, ou la poire Nashi. Il utilise les jeunes pousses de bambou en été, ou encore l’orange des Osajes (c’est le fruit que Wouter tient dans sa main sur la première photo). Il peut s’agir de plantes qui poussent ici depuis des siècles, mais aussi de plantes venues de plus loin. J’étais ainsi surprise d’apprendre que les asperges de montagne japonaises, l’acajou de Chine ou la myrtille de Sibérie se sentent étonnamment chez elles aux Pays-Bas !
Après cette visite très intéressante, il était temps de mettre nos papilles en action et goûter les plats qu’Emile van der Staak concocte avec les différents éléments de cette forêt sauvage. Direction le centre de Nijmegen, où nous avons eu le privilège d’un déjeuner privé (normalement il n’ouvre que pour le dîner).
Le restaurant se situe dans la partie la plus ancienne d’un ancien orphelinat (resté en activité jusqu’en 1959), qui était autrefois la base d’une église monastique. La municipalité avait décidé de détruire le bâtiment, mais des militants l’ont empêché en 2000. Presque vingt ans plus tard, De Nieuwe Winkel ouvre ses portes ou plutôt sa cuisine …
Voici le magnifique endroit où nous nous sommes installés pour ce déjeuner d’exception : sous les voûtes historiques, une étonnante rampe lumineuse unique de l’agence de design The Nightshop. La table ? Encore quelque chose d’unique, une planche de chêne âgé de 130 ans, poli et lisse, prêt à nous accueillir pour notre première expérience de gastronomie botanique.
Le goût est la priorité d’Emile et de son équipe. Ils essaient de nous étonner. En cuisinant avec des plantes … ou en expérimentant de nouvelles méthodes de préparation. Pour que nous goûtions au temps et à l’attention. C’est un véritable laboratoire : ils tentent aussi des techniques de conservation complètement folles : au dessus du plat de chou-rave se trouve du jaune d’oeuf râpé. Ce jaune d’oeuf a été conservé dans la saumure pendant trois mois. Autre détail : sur des morceaux de maquereau se trouve une petite boule de citron : il a fallu faire réduire six kilos de citrons à 450 grammes en les torréfiant au barbecue, en les blanchissant et enfin en les réduisant en purée.
Après un petit apéritif à base de basilic aux fleurs de lilas blanc, à peine pétillant, ou un kéfir d’eau de source, on nous apporte le pain au levain, fabriqué avec du blé d’un champ naturel voisin. Les grains sont broyés à la dernière minute avec leur propre moulin afin que les arômes, vitamines et minéraux soient préservés le plus longtemps possible. Après 24 heures d’attente, ils donnent le levain à la boulangerie De Knollentuin, qui cuit leur pain. Il nous est servi avec un beurre noisette, (beurre légèrement brûlé).
La cuisine est totalement ouverte sur la salle, et la brigade s’affaire silencieusement à chaque poste, dans un ballet bien rôdé, sous l’oeil bienveillant mais attentif d’Emile. Restaurant et cuisine ne font qu’un, dans la salle d’ambiance.
Ne vous attendez pas ici à un menu classique … l’entrée « Young cheese » nous parle de deux arbres qui sont à 40 mètres de distance l’un de l’autre : un acajou de Chine (Cédrèle), un arbre à feuilles caduques, et un amandier … servi avec un jus de boutons d’églantine, de poivre séchuan et de graines de capucines.
Suit ensuite « Abundance » (photo ci-dessous), une jolie palette colorée rassemblant ce qu’on peut trouver dans les trois jardins avec lesquels le chef collabore (dont la forêt de Ketelbroek, mais aussi à l’Ommuurde Tuin à Renkum, qui était autrefois le potager du roi Willem III. Oignons, graines d’angélique sauvage, boutons d’églantier … quelles belles teintes !
Le plat « Parsley, sage rosemary and thyme » fait un clin d’oeil à la chanson célèbre de Art & Simon Garfunkel (on le dégustera justement en écoutant le disque vinyle, qui tourne sur une platine posée sur la desserte à côté). La châtaigne est la star du plat, en version tempeh avec bien sûr les herbes mentionnées dans la chanson : persil, sauge, romarin et thym. Le tout servi avec un jus d’aronia.
Le plus surprenant fut je pense le dessert « Forest chocolate« , qui ressemblait à un gâteau au chocolat … mais n’en était pas un. Il était composé de châtaignes, de cèpes, fourré de coings, baies de goji, et décoré d’un morceau de pomme de pin confite. La boisson servie était un jus de mûres, un accord parfait.
S’il est possible de demander de façon classique des vins dans son verre (il y a une bonne cave de vins « nature », ou de bières brassées localement), tout le repas est accompagnée de jus faits maison. Je n’ai jamais rien bu de tel, c’était assez déroutant mais parfaitement en accord avec les plats servis. Ces jus ne sont pas le résultat d’un mélange ; ils sont créés par fermentation naturelle, parfois jusqu’à huit jours.
Le restaurant De Nieuwe Winkel a accumulé les récompenses depuis son ouverture : Emile est élu « chef de l’année » en septembre 2019, meilleur plat végétarien 2020 par le Gault & Millau, meilleur restaurant végétarien des Pays-Bas en 2020, et enfin une étoile du guide international Michelin … suivie d’une autre, du même guide, mais une étoile verte, qui atteste de la démarche durable de certains établissements, et qui semble être la véritable reconnaissance de leur philosophie.
Ce voyage fait suite à une invitation de Visit Netherlands et Visit Nijmegen. Les choix éditoriaux des articles qui font suite à ce voyage me reviennent librement.
Pour en savoir plus :
FOOD FOREST KETELBROEK (visites sur rendez-vous)
Site Web : https://www.voedselbosbouw.org/ketelbroek
Page Facebook : https://www.facebook.com/foodforestketelbroek/
DE NIEUWE WINKEL
Site Web : https://www.denieuwewinkel.com/
VISIT NIJMEGEN
Site Web : https://en.visitnijmegen.com/
VISIT NETHERLANDS
Site Web : https://www.holland.com/fr
4 réponses sur « De la forêt à l’assiette »
Quel magnifique repas merci pour le partage !
Je découvre totalement le concept de forêt nourricière et c’est vraiment intéressant. Merci pour le partage.
oui c’est incroyable n’est-ce pas ? je suis très admirative de ces personnes qui essaient de changer le monde dans lequel nous vivons …
Ce restaurant a l’air wahoouuu !! que d’originalité ! j’adore