Notre dernière étape dans la région Centre Portugal nous emmène dans les montagnes de la Serra Estrela, à Covilhã une ville assez importante, qui a connu une grosse activité au XIXème siècle autour du travail de la laine. De nombreuses usines cohabitaient ici, utilisant l’énergie des rivières Carpinteira et Goldra, et les pâturages aux alentours fournissaient la matière première. Les premières machines de tissage Jacquard sont arrivées en 1883 à Covilhã. Hélas dans les années 80 le déclin de cette activité a entraîné la fermeture de nombreux sites industriels, laissés parfois à l’abandon. Comme vous le verrez en fin d’article, il y a ici et là une renaissance de l’industrie, à moindre échelle, grâce à des créateurs et designers dynamiques. Mais je suis là aussi pour voir les nombreuses fresques de street art disséminées ici à l’occasion du Festival Wool Urban Art.
Avant toute chose et parce qu’on s’est levés un peu tôt, Jose Manuel et moi pensons que nous avons mérité un petit café pour nous réveiller un peu … je ne sais résister à un pastéis de nata qui me nargue sur le comptoir
Je repère de loin cette église, sur la place de la Mairie, et comme c’est ouvert, je rentre jeter un oeil à l’intérieur. C’est l’église de la Miséricorde, avec un magnifique plafond en bois peint, et quelques panneaux d’azulejos sur la partie inférieure des murs latéraux.
Au loin, le ciel s’obscurcit. Les hirondelles de Pantónio n’en ont que faire, elles s’entremêlent, sur un beau mur blanc, bravant la grisaille. C’est la première fresque que je vois dans cette ville, et elle est magnifique. Pantónio (ou Antonio Correia) né aux Açores, a peint ce mur en 2015 lors d’une séance « Extra Wool » , s’inspirant du court-métrage de Vanessa Duarte , ‘Da meia noite pró dia‘ .
Il faut grimper plusieurs marches pour accéder à la ville haute. Heureusement Add Fuel a décoré le mur le long de l’escalier et rend l’exercice un peu moins pénible ! Je vous avais déjà montré des oeuvres de Diogo Machado dans mes précédents articles, par exemple dans celui consacré à Figueira da Foz . Les plus paresseux ou fatigués prendront le funiculaire Saint-André, qui est gratuit …
Plus haut, ses pochoirs font un clin d’oeil à l’industrie lainière avec ces pelotes et ces têtes de moutons :
A mi-parcours, on tombe sur cette beauté, une des plus belles églises du Portugal, l’église Santa Maria (hélas fermée), couverte de panneaux bleus et blancs qui représentent la vie de la Vierge Marie. Elle date du XIXème siècle et son intérieur est de style baroque et c’est l’une des plus belles du Portugal. Seul hic, elle n’est pas facile à photographier car on a peu de recul …
Elizabeth nous rejoint, elle est l’une des fondatrices du festival Wool Urban Art (avec sa belle-soeur et son mari) et nous guidera à travers les ruelles en nous donnant de nombreuses explications sur ce que nous voyons. C’est dans la partie vieille de la ville que se tient le festival, pour apporter un peu de vie à ce coin abandonné et parfois dégradé, aux quelques maisons abandonnées. Au début, l’objectif était de faire une édition par an mais cela s’est avéré trop difficile financièrement car les artistes sont rémunérés. Pour l’instant il s’est tenu 5 éditions officielles, en 2011, 2014, 2015, 2017 et enfin 2018. Une autre édition devrait se dérouler cette année, financée par la mairie comme les deux précédentes éditions. Au début un peu réticents, les élus se sont aperçu que cela faisait parler de la ville, faisait venir des touristes … bref que cela apportait de la vie dans Covilhã, …. et peut-être aussi de l’argent ! Pendant le festival, il y a parfois des concerts, mais les responsables veulent que WoolFest demeure un festival concentré sur le streetart et pas un gros évènement où on trouve un peu de tout.
Pendant celui-ci, on peut discuter aussi avec les artistes, et participer à des visites commentées qui montrent toutes les oeuvres.
Sur les murs autour de l’église, plusieurs dessins faits en 2011, dont celui-ci représentant un berger (on ne le voit pas bien) qui porte sur ses épaules un énorme mouton (d’où sortent trois têtes de moutons en fait) s’étale sur une bonne partie de la façade. C’est une collaboration entre le portugais Miguel Caeriro (connu aussi sous le nom de RAM) (tiens c’est marrant car ram veut dire bélier en anglais) et Gonçalo Ribeiro (connu sous le nom de MAR). Bref, leur collectif s’appelle ARM, j’espère que vous vous y retrouvez car pour moi c’est un peu confus 🙂
En tant que fan de Bordalo II , j’étais vraiment ravie de voir le deuxième grand animal (de la série « Big trash animals ») de l’artiste, réalisée en 2014 ; il fallait que je pose devant ! Je vous invite à lire mon article sur l’exposition « Accord de Paris » en cours jusqu’au 2 mars 2019 à Paris XIIIème . Ce hibou (Owl Eyes) est dans la liste des 25 meilleures « interventions » du monde en 2014. Elizabeth m’a indiqué qu’il avait mis 3 ou 4 jours pour découper les morceaux puis environ 3 jours pour les assembler.
Je vous rappelle (ou je vous l’apprends) que Bordalo II est à l’affiche du festival « Peinture fraîche » qui se tiendra à Lyon du 3 au 12 mai ! Une bonne raison supplémentaire de venir nous voir, non ?
Joli petit dessin tout simple, je ne connais pas l’auteur hélas ….
Le street art ce n’est pas que de la peinture, en voici un exemple superbe, avec cette création de l’artiste polonaise NeSpoon qui reprend le thème des dentelles de napperons pour en faire une empreinte sur de la terre qui sera cuite ensuite, comme une poterie. Après un peu d’ajout de couleur, cette beauté est placée sur un mur. C’est la première fois que je voyais ce genre de travail ; j’avais vu ses autres oeuvres plus grandes représentant aussi de la dentelle, mais faites avec un pochoir en papier ou carton sur un très grand mur.
MrDheo a choisi de reproduire une toile connue, « la couturière » du peintre français William-Adolphe Bouguereau . Une belle performance, mais vous remarquerez qu’il a un peu changé les couleurs du tableau original (pour la jupe et le vêtement que la jeune fille coud).
On reste dans le thème propre à la ville de Covilha : le travail de la laine, c’est ce que Regg Salgado et son « fio conductor » a peint ici sur le côté de cette maison. Vous verrez d’autres oeuvres de cet artiste à Lisbonne mais aussi ailleurs en Europe.
Je ne connaissais pas Kram …. et vous ? Installé à Barcelone, cet artiste a peint des murs à Mexico, au Maroc, à New York, Copenhague et en Italie. Celui-ci date de 2012 et il fait référence à une légende du coin, avec ce serpent qui traverse une maison. Le mouton n’est pas oublié, sur la partie supérieure de la façade.
Le festival a également invité des artistes d’autres pays que le Portugal, et c’est l’artiste belge Gijs Vanhee qui s’est plié à l’exercice sur ce long mur ; il n’est peut-être pas encore très connu, mais si vous allez à Malines (Mechelen) vous verrez certaines fresques réalisées par lui. C’est d’ailleurs une ville que j’aimerais bien explorer prochainement (elle se situe en Flandres).
A gauche ci-dessous, un superbe travail du duo féminin argentin Las Medianeras ; je craque pour ce panneau couvrant une porte condamnée, fait en petits carreaux de céramique en 2017. Cela m’a semblé assez abstrait, et n’ai pas vu le rapport avec la laine sur celui-ci.
A droite, une drôle de tricoteuse à grandes oreilles, par l’illustrateur néerlandais Pieter Frank de Jong (PFFF), fait en 2012 – allez voir son portfolio, j’adore ce qu’il fait, il est très doué ! Devant cette porte, notre charmante guide Elizabeth 😄
Celle-ci se voit de loin …. et elle le mérite ! Tamara Alves a peint « Wild orphan » en 2014 et ce personnage aux nombreux bras et aux yeux vides est un peu inquiétant … il illustre la mort de cet art qu’est la dentelle aux fuseaux et le nom de l’oeuvre vient d’un poème d’ Allen Ginsberg.
Aka Corleone, comme à Viseu , a réalisé une grande fresque très colorée , intitulée « Conquista o sonho » (conquérir le rêve). Son style est très reconnaissable non ? Cela me fait penser un peu à un style union soviétique des années 50 … Il a même peint aux Philippines …
Si vous avez lu mes articles précédents concernant cette route du street art dans le Centre Portugal, vous avez sans doute reconnu le style de Samina. Il peint en général des portraits de personnes du coin , et c’est le cas ici, avec ce monsieur âgé qui vit à Covilhã, Monsieur Viseu. Il a travaillé dans une usine textile de la ville, et est également entraîneur dans un club de foot. Bref, une personnalité locale qu’il avait envie de mettre à l’honneur.
WOOL URBAN ART FESTIVAL
Site Web : http://www.woolfest.org
Je suis ensuite redescendue au bas de la ville pour rencontrer Francisco Afonso qui redonne vie à l’une des usines abandonnées, propriété de Júlio Afonso, près de la rivière Carpinteria et du pont piétonnier Carrilho da Graça. Construite par António Estrela, cette fabrique fut érigée sur un site qui avait déjà cette activité au XVIIème siècle, et a connu de grands moments, livrant les plus grands couturiers de Paris et remportant en 1904 un prix décerné au cours de l’exposition universelle de Saint-Louis aux Etats-Unis. Luis a hérité cette usine de son père, et en a fait un lieu unique.
C’est désormais à la fois un atelier pour quelques créateurs, designers, mais aussi des peintres (il y a un atelier avec une formidable lumière ici) ; au cours de la visite, je découvre même qu’il y a une cavité au sol, découpée dans la roche, qui servait à teindre la laine il y a très très longtemps.
Cette « Cocinnelle » relookée n’est-elle pas formidable ? Elle vous donne un aperçu de la créativité de tous les locataires ici …
L’un des créateurs en résidence, Miguel Gigante, prend gentiment la pose pour moi, à côté de l’un de ses modèles (pour sa marque Atelier de Burel). Il travaille avec la laine de Burel, un matériau épais et waterproof utilisé par les bergers et jadis produit à grande échelle dans la Serra da Estrela. Il commercialise sous sa marque des vêtements, des chapeaux, mais aussi lampes, sacs, oreillers … il a de grands projets et beaucoup d’imagination. Il a fallu tout d’abord étudier tout le processus de travail de production de la laine, pour mieux appréhender la suite.
Partout dans l’usine, des bobines de fil ou de laine plus ou moins grosses, dans les caisses d’origine, en bois. Dans le passé, il y avait environ 200 fabriques ici … comme à Manchester , la crise a entraîné la fermeture de celles-ci, la dernière fermant en 2002, dépassée par la compétition dans le domaine textile, les prix très bas d’autres continents comme l’Asie par exemple.
Sur le présentoir des fiches de présence, le nom des nouveaux locataires de New Hand Lab. J’ai trouvé cette visite passionnante, et vous pouvez venir prendre un café au New Hand Lab aussi. Parfois, ont lieu des concerts ou des défilés de mode. L’usine revit !
Ces cochons recouverts de draps de laine m’ont trop fait craquer … pas vous ? Vous préférez le tweed ou le Prince de Galles ? 😉
NEW HAND LAB – Rua Mateus Fernandes -Travessa do Ranito (visites le samedi et le dimanche entre 14 h 30 et 16 h)
Facebook : https://www.facebook.com/new.hand.lab.covilha/
Une pause shopping ?
L’autre casquette d’Elizabeth, c’est celle de propriétaire de la ravissante boutique « A TENTADORA » …. cela signifie « la tentatrice » et c’est un nom fort bien trouvé pour cette caverne d’Ali Baba. Cette petite mercerie des années 30 a été laissée quasiment à l’identique, un petit coup de peinture sur les jolies vitrines, et hop ! On y retrouve de nombreuses marques locales ou en tous cas portugaises, que ce soit en petits articles textile, bijoux, accessoires, ou pour les gourmets aussi (bières locales, sardines, huile, etc …) le tout à des prix fort raisonnables. On peut même admirer dans certaines vitrines la collection d’objets vintage de l’époux d’Elizabeth, mais attention ils ne sont pas à vendre …
La balance et la caisse enregistreuse sont d’origine, et fonctionnent encore ! Chez « A tentadora » on peut aussi réserver une place de co-working, ou suivre un atelier sur la grande table en bois prévue à cet effet. Je vous recommande vraiment de vous arrêter un bon moment ici, c’est une halte idéale pour faire ses achats de souvenirs, pour soi ou pour ses proches, et Elizabeth est adorable.
A tentadora – Rua Alexandre Herculano 21 (fermé le dimanche)
Facebook : https://www.facebook.com/atentadora/
Où manger ?
Avec le temps un peu pluvieux, on était très contents de se mettre au sec (et à table) au Paço 100 pressa , (qui fait aussi bed & breakfast) pour goûter une cuisine traditionnelle dans une déco un peu chic et authentique avec de belles pierres apparentes mais avec une atmosphère détendue. J’ai apprécié la belle carte des vins également.
Je vous souhaite d’avoir du soleil lors de votre passage car il y a une petite terrasse fort avenante ; je me suis régalée avec ce poulpe grillé et ce dessert, un flan à la cannelle qui est une spécialité d’ici.
Paço 100 pressa – Tv. de São Tiago N 3
Site Web : https://www.paco100pressa.pt/
Où dormir ?
Je ne peux que recommander le merveilleux hôtel situé au pied de Covilha, le Puralã & Spa. Doté de 100 chambres, il est d’un grand confort et vous offre un équipement bien-être et sport (terrain de squash, salle de gym) de haut niveau. Il y a en effet sur place un spa avec une piscine extérieure mais aussi intérieure, un jacuzzi, sauna, hammam, et on peut faire différents soins dans son institut. J’ai dîné au restaurant une fois et c’était très bon, le buffet du petit-déjeuner est fort bien garni et je l’ai apprécié avant une grande journée de visites. (oui j’ai goûté les cocktails aussi comme en atteste la photo ci-dessous)
PURALA Wool Valley Hotel & Spa – Alameda Pêro da Covilhã, 6200-507 Covilhã
Site Web : http://www.puralahotel.com.pt
Comme je vous le disais en introduction c’était donc mon dernier article sur la Région Centre du Portugal, je ramène avec moi des souvenirs fantastiques, des rencontres avec tant de personnes très chaleureuses qui ont eu à coeur de partager avec moi leur(s) histoire(s) (merci à tous). J’espère que vous avez aimé me suivre sur cette route de l’art urbain , et ses à côtés gourmands et culturels, en plusieurs étapes. N’hésitez pas à revisionner mes stories instagram qui se trouvent dans la petite bulle verte « Centre Portugal » de mon compte (argone69).
Avant de refermer ce carnet de voyage , je souhaite remercier mon adorable guide et chauffeur José Manuel Santos (Madomis Tours) pour sa gentillesse et toutes ses explications, ainsi que les équipes de Visit Portugal et Centro Portugal pour cette invitation. Envie d’épingler cet article sur Pinterest ? Les deux photos ci-dessous sont faites pour cela !
VISIT PORTUGAL
Site Web : https://www.visitportugal.com/fr
CENTRO PORTUGAL
Site Web : http://www.centerofportugal.com/fr/
6 réponses sur « Covilhã »
Quel beau voyage, merci pour le partage, j’adore le street art aussi
j’ai adoré te suivre dans tous ces villages du Portugal, quelle belle expérience, et quelle belle région … merci !
merci beaucoup c’est gentil !
Ce reportage sur le street art à Covilha, il aurait pu être le mien; vous avez exprimé tout ce qu’il faut et comme je l’ai ressenti, l’année dernière, 2020. bravo. On est restés 8 jours à Covilha pour découvrir la ville et les environs, berceau de notre famille.
Bon courage et vive le Portugal, riche en découvertes.
merci pour votre commentaire, c’est un coin cher à mon coeur aussi !
[…] demandé à travers le monde, France (à Paris pour Quai36), Italie, et aussi Portugal comme à Covilhã ou Ostende. J’aime sa façon d’utiliser la nature comme symbole social. (à droite sous la […]