Tout comme Cracovie, Varsovie concentra pendant plusieurs siècles l’une des plus importantes communautés juives d’Europe, qu’on estimait en 1939 à environ 400 000 personnes. En mai 1945, ce chiffre n’était plus que de 300. Les Allemands avaient décidé d’implanter un ghetto sur les districts de Mirów et de Nowolipki, au coeur du quartier juif d’avant-guerre. On retrouve peu de traces de la présence de cette communauté décimée, ainsi qu’à Praga. Je vous invite à me suivre dans certains lieux qui nous aident, si besoin, à ne pas oublier cette tragédie qui s’est déroulée ici.
Varsovie juive
Un mur blanc très sobre, de 4 mètres de haut, qui attire peu l’attention … voici le monument de l’Umschlagplatz, sur la rue Stawki. Le lieu n’est pas anodin, puisqu’il se trouve sur l’ancienne place du ghetto.
En s’approchant, on peut lire 400 prénoms juifs et polonais, ceux qui étaient les plus populaires pendant la période d’avant-guerre, chacun symbolisant 1000 victimes du ghetto de Varsovie. On voit également, dans la partie centrale du mur, le même texte inscrit en quatre langues, anglais, polonais, hébreu et yiddish : « Durant les années 1942-1943, plus de 300 000 Juifs ont traversé ce chemin de souffrance et de mort et ont été déportés du ghetto de Varsovie vers les camps de concentration nazis. » C’est un endroit vraiment très émouvant, car c’est de là que partaient les convois vers le camp d’extermination de Treblinka et les autres camps situés dans le district de Lublin, en 1942 et 1943.
Un lieu incontournable à Varsovie, dans le quartier de Wola, à l’ouest de la vieille ville, est le cimetière juif Na Okopowej ; c’est une véritable forêt en pleine ville, sur plus de 33 hectares. Dans ce lieu fondé en 1806, qui faisait partie du ghetto de Varsovie, vous retrouverez plusieurs parties, regroupant les différentes castes ou catégories de juifs (orthodoxes, progressistes, enfants, militaires, suicidés, apostats …)
Voici ci-dessous une stèle en l’honneur d’un combattant socialiste du ghetto de Varsovie.
On se perd facilement dans ces allées interminables … quelle atmosphère particulière et si calme … vous croiserez peu de monde ici. C’est un des plus grands cimetières juifs d’Europe et l’un des rares encore en activité en Pologne. Il fut miraculeusement relativement épargné pendant les bombardements de la seconde guerre mondiale, et environ 250 000 tombes s’y trouvent ; hélas beaucoup ne sont pas entretenues, et l’ensemble donne une impression d’abandon …
Plusieurs personnalités sont enterrées dans ce cimetière, citons par exemple la comédienne Esther Rachel Kamińska, l’historien Meir Balaban, ou encore Louis-Lazare Zamenhof (ci-dessous), l’inventeur de l’esperanto, langue universelle, mort en 1917. La mosaïque qui orne la tombe est un peu abîmée, mais permet de repérer facilement cette sépulture. A côté, repose Marek Edelman, résistant du ghetto et membre du Bund, union générale des travailleurs juifs, décédé en 2009, ce qui explique le style assez moderne de sa tombe.
Sur le plan qui est affiché à l’entrée, je vous propose de repérer les tombeaux du sculpteur Abraham Ostrzeg, comme par exemple celle des Trois Ecrivains, ci-dessous. Il signe les plus originales stèles de l’art funéraire juif en Pologne. Ces trois écrivains sont Isaac Leib Peretz, Jacob Dinezon et Shalom Anski.
On termine la visite la gorge serrée, devant le monument de Janusz Korczak, pédiatre, écrivain, poète, éducateur, s’occupant des enfants du ghetto dans son orphelinat. A plusieurs reprises, il eut l’opportunité de fuir ce ghetto de Varsovie, mais n’en fera rien, et décida d’accompagner, en août 1942, les 200 enfants déportés au camp de Treblinka, dans les chambres à gaz. La sculpture capture ce moment très émouvant du médecin marchant avec ses petits protégés, vers la mort.
Cimetière Juif de Varsovie na Okopowej- Ul. Okopowa 49-51 – Tarif : 10 PLN (kippa prêtée pour les hommes) – Horaires (variant suivant la saison) dimanche à jeudi : 10 h à 17 h – vendredi : 10 h à 15 h – Fermé le samedi et lors des fêtes juives ou polonaises.
Bon à savoir ⇒ un autre cimetière, pour les classes moins favorisées, se trouve dans le quartier de Praga : il s’agit du cimetière juif de Żydowski
Enchassé dans un imposant cube en blocs pierre de labradorite polie, ce monument aux héros du ghetto a été inauguré en 1948, et ironiquement cette pierre avait été commandée en 1942 par l’architecte Albert Speer pour un tout autre projet, un monument à la gloire de la victoire nazie.
C’est Leon Suzin qui est l’architecte chargé du projet, et l’artiste Nathan Rapoport (né à Varsovie) le concepteur des sculptures, qui seront réalisées par une fonderie parisienne, Eugène Didier, à savoir un relief en bronze de 5,4 sur 2,5 mètres. Il représente sur son côté ouest un groupe de combattants juifs armés de cocktails Molotov, de pistolets et de grenades, et une jeune femme qui tient un enfant dans les bras. Des flammes, en arrière-plan, représentent le ghetto incendié par les nazis.
Il y a un second relief, côté est, mais qui est réalisé en pierre, et qui représente la souffrance et le martyre des femmes, enfants, et des anciens sur le chemin des camps d’extermination.
Une première version du mémorial avait été installée en 1946 , mais elle est beaucoup moins spectaculaire : en deux parties, elle évoque une plaque d’égout, pour rappeler le réseau souterrain que les insurgés avaient utilisé pour s’échapper du ghetto.
Le 7 décembre 1970, le chancelier de l’époque en Allemagne est venu à Varsovie, et s’est agenouillé devant ce monument, lors d’une cérémonie officielle. C’est un moment très important, signe de repentir de la nation allemande envers le peuple juif, mais aussi un premier pas vers la réconciliation entre l’Allemagne et la Pologne.
Cet évènement a d’ailleurs fait l’objet d’un monument à Willy Brandt, situé derrière le musée principal, installé depuis l’année 2000. (le pape Jean-Paul II se rendra également devant celui-ci, en 1983). La plaque rappelle la scène.
A l’ouest du monument aux héros du ghetto, et situé symboliquement au coeur de l’ancien quartier juif, le musée de l’histoire des juifs de Pologne surprend par son architecture très moderne. Il a été construit sur l’ancien site d’une caserne d’artillerie des années 1780, puis d’une prison militaire.
La grande ouverture qui entaille la façade évoque le passage de la mer Rouge par les juifs, lors de leur fuite d’Egypte, une superbe idée des architectes finlandais Rainer Mahlamäki et Ilmari Lahdelma, qui en fait l’un des plus beaux de Varsovie. Sa façade est couverte de plaques en verre où figurent des lettres hébraïques et latines formant le mot « Polin » qui en hébreu signifie « Pologne », mais aussi « tu te reposeras ici ».
Dans les huit galeries du musée, on découvre les différentes périodes de l’histoire de la communauté juive, depuis son établissement en Pologne au Xe siècle à nos jours. Il englobe l’ensemble de l’histoire de cette population, sans se concentrer uniquement sur l’holocauste. On y verra par exemple les pièces d’une maison juive traditionnelle, les rues du ghetto de Varsovie …
L’élément le plus spectaculaire et le principal dans l’expo permanente de ce musée est la réplique de la plus ancienne synagogue, bâtie au milieu du XVIe siècle ou plutôt de son toit voûté ; c’est une merveille d’architecture mais aussi de décoration polonaises. Plusieurs documents tout autour de cette réplique sont à lire pour en savoir plus.
… et voici cette superbe reconstruction de la synagogue Gwoździec, installée ici en avril 2013. Il a fallu dix ans de travail par 400 bénévoles et experts du monde entier pour achever cette pièce maîtresse en bois, comportant des centaines de motifs peints à la main, en utilisant des matériaux et techniques similaires à ceux de l’époque. La synagogue se trouvait dans ce qui est maintenant la région d’Hvizdets en Ukraine ; après de graves dommages subis pendant la première guerre mondiale, elle fut détruite par les nazis en 1941.
L’intérieur du musée est très beau aussi : les murs sont ondulés, de couleur sable, ce qui évoque les paysages d’Israël …
Musée de l’histoire des juifs de Pologne – Mordechaja Anielewicza 6 – Tarif adulte expo permanente : 30 PLN – Fermé le mardi (billetterie séparée pour les expositions temporaires-
⇒ Bon à savoir : gratuit le jeudi (expo permanente) ; des visites guidées existent (45 mn), en supplément. Sur place, restaurant casher et librairie spécialisée.
A plusieurs endroits de la ville, vous pourrez voir des éléments qui rappellent le mur d’enceinte du ghetto, comme ci-dessous une plaque qui le localise (près du cimetière juif), mais la majorité du mur a été détruite. Quelques fragments ont été sauvegardés, si vous voulez les voir il faudra vous rendre dans les cours des immeubles situés aux 55 rue Sienna, 62 rue Złota et 11 rue Waliców.
Par ailleurs, là où le mur n’existe plus, un marquage au sol en lettres de métal indique où il était situé ; le ghetto concentrait la population dans 73 des 1800 rues de la ville ; ce mur mesurait 18 kilomètres de long. Encore réduit en 1941, le ghetto atteignit une densité de population de 146 000 habitants au km² !
Varsovie combattante
Un autre épisode sombre de l’histoire de Varsovie est celui du soulèvement de la population de la ville, début août 1944. Un monument de l’insurrection lui est dédié, réalisé en bronze en 1989 par l’architecte Jacek Budyn et le sculpteur Wincenty Kucma. En arrière-plan, on voit les colonnes du bâtiment de la cour suprême de Pologne. Il est en fait composé de deux parties ; la première (sur la première photo ci-dessous) représente un groupe d’hommes qui court, fuyant l’effondrement d’une structure. La deuxième partie, (sur la deuxième photo) montre comment certains insurgés ont utilisé le réseau d’égouts pour passer de la vieille ville au centre (5300 y sont parvenus).
Monument de l’insurrection – Plac Krasińskich
Outre ce monument, dans une ancienne centrale électrique des tramways de la ville, un grand musée nous relate de manière approfondie cet épisode de la nation polonaise, qui s’est toujours battue pour conserver sa liberté.
Dans ce musée de l’insurrection, on apprend sur le contexte de l’époque, la vie quotidienne sous l’occupation, la résistance des polonais, et les détails de ce mouvement qui fut très sévèrement réprimé par les nazis. Il a été inauguré à l’occasion du 60e anniversaire du début des combats à Varsovie, et rend hommage à ceux qui se sont battus et sont morts pour la Pologne indépendante et sa capitale libre. Je l’ai trouvé très moderne et interactif, on peut voir des manuscrits, des photos, mais aussi écouter des témoignages audio ou vidéo, qui cherchent à recréer émotionnellement la noirceur de cette période (ainsi que celle qui l’a précédée), longtemps occultée par les communistes.
Dans une salle, des machines à imprimer des années 1940 sont exposées ; tout ce matériel a été utilisé pour produire les tracts invitant les habitants de la ville à participer à ce soulèvement. C’est une partie très importante qui permettait de faire circuler l’information.
Dans la deuxième partie du musée, les expositions s’organisent autour du Hall B, où l’on peut voir une réplique du Liberator B-24J. Elle présente entre autres l’activité des forces alliées.
Les luttes qui ont résulté de ce soulèvement, écrasé finalement le 2 octobre de la même année, ont coûté la vie à environ 18 000 insurgés et 180 000 civils, et en représailles, les allemands ont rasé 80% des bâtiments de la capitale (pendant et après l’insurrection).
Musée de l’insurrection de Varsovie – Grzybowska 79 – Entrée adulte : 25 PLN – Fermé le mardi
J’espère que cet article vous a plu, n’hésitez pas à revoir les stories publiées lors de mon voyage, sur instagram @argone69 !
Cet article fait suite à une invitation de l’Office National Polonais de Tourisme, mais je garde toute liberté éditoriale.
Office National Polonais de Tourisme
Site Web : https://www.pologne.travel/fr
Office du Tourisme de Varsovie
Site Web : https://www.go2warsaw.pl
3 réponses sur « Varsovie juive et combattante »
merci pour ce voyage passionnant dans l’histoire mouvementée du pays …
très beaux musées, ça doit être très intéressant de se plonger dans le passé … même si sombre
Merci de relater l’histoire de cette ville chère à mon coeur ….