Interview Craig Easton

Vous avez peut-être lu mon récit de la masterclass que j’avais suivie avec Craig Easton début novembre à Paris ; il a eu la gentillesse de bien vouloir répondre à mes questions de curieuse passionnée de photographie.

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ATOML : Bonjour Craig Easton, vous êtes à Paris aujourd’hui pour former quelques clients chanceux de l’hôtel InterContinental Paris Le Grand. Quelle est ici votre motivation et comment envisagez-vous de conduire cette master class ?

CE : Ma motivation principale est de parler photographie et comme cela peut être tellement plus que juste quelques clichés de vacances. J’espère aider les gens à s’ouvrir aux possibilités présentes autour d’eux, spécialement en milieu urbain. Il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances photographiques pour participer, et il s’agit davantage d’apprendre à regarder. L’appareil photo (ou le smartphone) n’est qu’un outil que nous utilisons pour capturer ce que nous voyons.

Les « Masterclass » sont gratuites pour les clients InterContinental qui ont réservé le package « WeekEnd Escapes » InterContinental. Leur nombre est néanmoins limité et l’admission est sur la base du « premier arrivé, premier servi ».

Je vais rencontrer les participants le matin autour d’un café et en utilisant mes photos comme support, je discuterai de mon approche de la photographie de voyage et discuterai avec eux de quelques idées qu’ils pourraient essayer pendant leur séjour.

Puis ils iront à certains endroits recommandés les concierges de l’hôtel pour commencer leur shooting et mettre ces astuces en pratique. Je les rejoindrai dans la journée à un endroit convenu d’avance, où nous pourrons voir les photos prises, rappeler les conseils et techniques pour les mettre en pratique.

Le soir il y aura également possibilité d’en discuter à l’hôtel, autour d’un verre de vin par exemple.

ATOML : Vous avez reçu le prix Cutty Sark de « photographe voyage » de l’année 2012, quel est votre sentiment à ce sujet et pouvez-vous commenter les photos que vous avez soumises au jury pour ce prix ?

CE : J’étais ravi de recevoir ce prix bien sûr, c’est un grand honneur pour moi d’être retenu parmi les photographes de plus de 90 pays !

Mon portfolio gagnant incluait deux séries de photographies : une série d’images noir & blanc prises sur la place du Trocadéro à Paris, et une autre bien différente, composée de clichés très sombres capturés en Ecosse, montrant des nuages de pluie, un série que j’ai nommée « Dreich ».

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Les images de la Tour Eiffel font partie d’un reportage commandé par une marque française, « Conté à Paris ». Le « brief » était d’évoquer l’image classique noir & blanc parisienne. Après de nombreuses réunions avec le client et les directeurs artistiques, j’ai eu carte blanche pour shooter en mode « reportage » à travers la ville et trouver des images qui colleraient à cet esprit « cool Paris ». Aucune des images n’est mise en scène, il ne s’agit que de moments observés spontanément.

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C’était un peu comme faire un retour dans le passé et j’imaginais tous ces grands photographes qui avaient arpenté les mêmes rues que moi, regardant et photographiant … Le denier jour, j’étais au Trocadéro et j’ai remarqué que les gens étaient en contre-jour et l’effet de silhouette qui en résultait avec la Tour Eiffel. Comme vous le savez les lois françaises de droit à l’image m’obligeaient à m’assurer que personne n’était reconnaissable sur les photos, d’autant plus que celles-ci devaient être utilisées à des fins commerciales. Cet effet de silhouettes en contre-jour, avec la Tour Eiffel en arrière-plan, était donc parfait ! Par ailleurs, les mêmes lois m’empêchaient de faire ces photos la nuit, car la scénographie d’éclairage de la « grande demoiselle » est sous copyright, mais la tour elle-même ne l’est pas. Et dire que nous sommes dans ce pays que les gens appellent « le berceau du photojournalisme » …. ! Je pense que beaucoup des clichés noir & blanc mythiques que nous connaissons n’auraient pas pu être publiés s’ils avaient été pris de nos jours …, cela n’aurait pas été possible dans le climat actuel français.

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ATOML : Avez-vous suivi une formation de photographie ?

CE : J’ai étudié la Physique à l’Université et puis je me suis intéressé à la politique mondiale et à l’art. Je voulais raconter des histoires, mais je savais que je ne serais jamais un grand écrivain – c’est à ce moment-là que j’ai découvert le photojournalisme et depuis ce jour je n’ai aucun regret. La photographie pour moi est un moyen unique de raconter des histoires ; j’ai rejoint le journal « The Independent » à Londres comme photojournaliste en 1990. Depuis, je travaille également pour des livres, des magazines, mais aussi pour la publicité. Je partage mon temps moitié travail commercial et moitié projets personnels pour des livres, des expositions, etc …

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ATOML : Venez-vous souvent à Paris ?

CE : Oui , aussi souvent que je le peux … je viens à peu près 2 ou 3 fois par an. Parfois pour le travail, parfois juste parce que j’adore Paris !

ATOML : Quel type de voyageur êtes-vous ? Préparez-vous vos voyages très à l’avance, faites-vous des recherches sur les lieux les plus propices à un shooting ?

En fait tout dépend du projet sur lequel je travaille. Bien sûr je fais toujours quelques recherches au préalable, et cela dépend de l’histoire que je veux raconter. C’est davantage connaître l’histoire d’un lieu que vraiment l’endroit lui-même. Je veux avoir un regard frais sur la destination, aussi même si je me plonge dans des lectures concernant une ville ou une communauté, j’évite de trop étudier le paysage et la topographie pour ne pas gâcher l’effet de découverte.

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Par contre, pour un travail de commande (publicité par exemple), c’est complètement différent, et de nombreuses recherches sont nécessaires, ainsi que des voyages de reconnaissance pour sélectionner les meilleurs endroits où faire les photos, ainsi que l’étude des moments de la journée les plus propices pour l’obtention de la bonne lumière …

ATOML : J’aime beaucoup votre série de photos qui s’appelle « fish wives ». Pouvez-vous m’en dire plus sur cette expérience, ces femmes étaient-elles réticentes à être photographiées, ou flattées ?

CE : Merci. Non, elles n’étaient pas réticentes. Une ou deux ont refusé, mais la plupart étaient heureuses de poser pour moi. Je crois que si j’explique bien ma démarche et ce que je veux montrer, et pourquoi je suis intéressé, alors les gens la plupart du temps se prêteront volontiers au jeu. Je sais que je suis davantage connu pour mon travail sur les paysages, mais j’aime aussi énormément faire des portraits et utiliser la photographie pour raconter l’histoire de personnes authentiques. Vraiment, c’est plutôt moi qui suis honoré qu’elles m’aient accepté dans leurs vies comme cela.

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ATOML : En tant que voyageur acharné, y a-t’il encore des pays que vous n’avez pas visités, et que vous rêvez de découvrir ?

CE : Oui bien sûr ! Je suis sur le point de débuter un projet à long terme qui me fera voyager dans de nombreux endroits intéressants … mais je ne suis jamais allé en Nouvelle-Zélande, et je me suis laissé dire que ce pays avait certaines similitudes avec l’Ecosse ma terre natale et aussi un pays cher à mon coeur, aussi j’aimerais beaucoup y aller.

J’ai discuté récemment également avec un ami qui a rallumé en moi l’amour de l’Amérique Latine … j’aimerais beaucoup photographier au Pérou.

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ATOML : J’aime beaucoup Londres, où je suis allée plusieurs fois. Y a-t’il des endroits que vous me conseilleriez pour de jolies photos ?

CE : Cela dépend de ce que vous voulez photographier … Le marché aux fleurs de Colombia Road est un endroit fantastique pour les couleurs, et il est représentatif de l’Est de Londres. Cela se passe les dimanche matin, mais vous devez y aller tôt pour éviter la foule.

ATOML : Parlons un peu équipement … quels appareils photo utilisez-vous, quels objectifs ? Je veux tout savoir !

CE : J’utilise surtout Leica et Nikon pour du travail 35 mm, mais pour mes projets personnels et les paysages j’ai un Phase One IQ180 « medium format back » et pour mon prochain projet j’utiliserai une pellicule de format 10/8.

Mes objectifs préférés pour du 35 mm sont toujours les objectifs rapides. Chez Nikkor j’aime le 50 mm focale 1.4, et le 35 mm focale 2, ainsi que le Leica 35 mm focale 1.4. Je travaille souvent à la limite du correct niveau lumière aussi j’ai besoin d’objectifs rapides. En faisant bien attention je peux utiliser mon Leica à 1/4 de seconde à main levée, et avec une focale 1.4 vous pouvez tout prendre en photo !

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ATOML : Que pensez-vous du succès grandissant des réseaux de partage de photos comme Instagram ? Etes-vous à l’aise avec les réseaux sociaux, les utilisez-vous au quotidien ?

CE : Je suis à l’aise, mais je ne les utilise pas vraiment. D’une manière générale, je pense que c’est une bonne chose que les images soient partagées et diffusées plus largement – c’est plus facile de faire connaître ses photographies maintenant et j’espère que cela aide à créer une meilleure compréhension entre les gens et les cultures.

Par contre, il me semble que cette prolifération de photos a été exponentielle ces dernières années et n’a pas toujours été synonyme d’amélioration de la qualité. Chaque jour, je vois des hordes de personnes avec des appareils photo numériques, des smartphones, des ipads, prenant des photos à des endroits dits « touristiques » : il me semble qu’ils prennent tous la même photo ! Et au moment où l’on n’a jamais pris autant de photos, il y a finalement de moins en moins de réflexion autour de ces images, qui ne font que remplir les disques durs, avec les images de tout le monde, les mêmes … Susan Sontag (*) avait déjà décrit cela en 1977, en parlant du défi d’utiliser la photographie comme moyen de communiquer des idées et des visions du monde qui nous entouraient, davantage qu’un statut du style « j’étais là ».

Il y a aussi un danger qu’avec certaines applications, toute photo, même médiocre, peut sembler « bonne ». Cela est important pour moi de penser que même si on peut faire un peu de post-traitement pour améliorer une photographie, la réelle compétence dans cet art est d’avoir un « oeil », et d’apprendre à voir. Les vraies images sont prises avec nos yeux et pas avec l’appareil photo, c’est juste un instrument utilisé pour les enregistrer, et voir des photos est quelque chose  qu’il faut apprendre et pratiquer tout le temps.

ATOML : Faites-vous justement beaucoup de retouches de vos photographies ? Quels logiciels utilisez-vous pour cela ? Pensez-vous que c’est une étape incontournable de nos jours ?

CE : J’utilise Capture One, Lightroom et Photoshop principalement, essentiellement pour une correction de couleurs et un réglage de tonalité, de la même façon que je l’aurais fait en chambre noire pour de l’argentique. Je suis conscient que si je prends en photo de vraies personnes dans de vraies situations, j’ai une responsabilité de restituer cela et d’être aussi fiable que possible. Lorsque je prends en photo des paysages je veux montrer non pas comment est cet endroit mais comment je le ressens, et comme avec la chambre noire, j’utilise les outils de retouche numérique pour parvenir à transmettre ce sentiment.

ATOML : J’ai constaté que vous travailliez également pour des marques dans le cadre de campagnes publicitaires, comme avec Land Rover ou Barclays. Est-ce différent de vos prises de vue sur le thème du voyage ? En quels aspects ?

CE : Oui, c’est en général très différent, bien plus controlé et réfléchi. Il y a d’abord beaucoup de discussions avec les directeurs artistiques, les agences publicitaires et les clients avant de pouvoir commencer le shooting. Bien sûr j’ai aussi mon mot à dire au niveau créatif dans ces discussions et aussi pendant le tournage, mais c’est un processus très différents, on laisse très peu de place au hasard. Beaucoup de personnes sont impliquées (assistants, responsables de lumières, transports, clients, agence … – parfois l’équipe peut être de 20 ou 30 personnes ! avec des générateurs pour faire de l’électricité, des projecteurs … répartis sur un lieu. Je viens de terminer des photos pour une campagne demandée par la ville de Liverpool par exemple, où nous avons utilisé des projecteurs d’une puissance de 50 kW, et 700 mètres de guirlande en lampions pour éclairer un ancien dock et de vieux navires en bois. Habituellement on me demande de photographier sur site (et pas en studio), en cela j’ai de la chance et en général on me laisse quand même un certain contrôle créatif. (note d’argone : je vous invite à aller voir ces photos sur le blog de Craig, le résultat est époustouflant et il explique un peu les coulisses)

ATOML : De quelle photo êtes-vous le plus fier ?

CE : Ah ah … la prochaine bien sûr ! 😉

 

Merci Craig d’avoir répondu de façon très complète à mes questions !

Je vous conseille vivement de lire le blog de Craig, qui explique son actualité photo et dévoile un peu les coulisses de ses shootings, c’est très intéressant.

(*) romancière américaine

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